Bibliothèques scolaires

Lettre au ministre de l’Éducation – le cri du coeur d’une maman et d’une auteure

Exceptionnellement, je prends de l’espace ici, sur mon blogue, pour parler d’un sujet qui me tient vraiment à coeur. Voici donc la lettre que j’ai fait parvenir à monsieur Bernard Drainville, ministre de l’Éducation, le 28 février 2023.

Je tiens à la partager au public, en espérant que cela fera bouger les choses.

 

Il faut sauver les bibliothèques scolaires!

Cher monsieur Drainville,

Je sais que votre horaire est très chargé en ce moment et que vous avez un travail considérable à faire devant le chantier colossal qu’est notre système d’éducation. Néanmoins, j’aimerais vous entretenir à propos d’un sujet qui me tient à cœur et qui me semble d’une grande importance.

Les Journées de la persévérance scolaire sont derrière nous depuis quelque temps et pendant une semaine, nous avons encouragé et poussé les jeunes à poursuivre leurs études. Une magnifique initiative qu’il convient d’applaudir.

Mais il serait peut-être temps de s’intéresser à un outil grandement négligé, pourtant essentiel à cette réussite et j’ai nommé : les bibliothèques scolaires. Car on sous-estime trop souvent le rôle qu’elles peuvent jouer dans l’amour de la lecture, le développement de la littératie et donc, le taux de diplomation[1].

Laissez-moi vous raconter mon expérience personnelle en tant que mère et bibliothécaire bénévole. En 2018, l’école que fréquentaient mes enfants a lancé un SOS aux parents. Ils avaient perdu des bénévoles et à moins d’un changement, l’école serait obligée de fermer la bibliothèque scolaire!

Paniquée à cette idée, je me suis empressée de contacter l’école et d’indiquer que j’étais disponible. Pleinement motivée, j’arrivai peu après au pavillon du premier cycle où se trouvait la bibliothèque. Misère! Lorsque j’y suis entrée pour la première fois, la désuétude et la fadeur des lieux m’ont estomaquée.

Le mobilier était usé, les murs affichaient un beige délavé, les signets laissés à la disposition des enfants semblaient dater des années 90. Des livres tombaient en morceaux, faute de volontaires pour les réparer. L’endroit était déprimant. Comment peut-on donner le goût de lire à des enfants avec du matériel décrépit et abimé, je vous le demande?

Je rappelle que nous sommes, à ce moment-là, 4 ans après la malheureuse déclaration de votre prédécesseur Yves Bolduc à l’effet que « il n’y a pas un enfant qui va mourir de ça et qui va s’empêcher de lire, parce qu’il existe déjà des livres [dans les bibliothèques]. (…) Nos bibliothèques sont déjà bien équipées. » De toute évidence, malgré la controverse, rien n’avait été fait pour améliorer la situation.

Qu’à cela ne tienne! Je me suis retroussé les manches. J’ai contacté mes collègues auteurs pour obtenir des signets neufs et fait la tournée de mes collègues éditeurs en salons pour amasser des affiches. J’ai acheté, avec mon argent personnel, des décorations neuves, des étiquettes pour mieux guider les jeunes, des affichettes attrayantes, des présentoirs, etc. La bibliothèque a repris des couleurs.

Je précise que l’école se trouve dans un secteur hautement défavorisé. Selon le dernier rapport des indices de défavorisation du ministère de l’Éducation[2], que vous connaissez certainement, l’école se situe au bas de l’échelle, tant en ce qui a trait à l’éducation qu’au revenu des parents. On peut raisonnablement penser que le niveau de littératie, parmi une bonne proportion de ceux-ci, est aussi très faible.

Pendant les 18 mois où je me suis impliquée à la bibliothèque, j’ai vite fait un constat désolant. Certains enfants n’avaient probablement aucun livre à la maison ou presque. Ils n’iraient jamais dans une bibliothèque publique, ni dans une librairie, ni dans un salon du livre. Cette heure passée à la bibliothèque scolaire, chaque semaine, était l’unique moment où ils seraient en contact avec des livres dans un contexte récréatif.

On le sait, l’espoir d’une vie meilleure pour ces jeunes passe par l’éducation. Mais doit-on rappeler encore que les compétences en lecture sont un facteur déterminant de la réussite scolaire? Et pour améliorer celles-ci… encore faut-il avoir envie de lire! Et je n’ai même pas abordé le taux de littératie encore trop bas au Québec.

Le ministère de l’Éducation, VOTRE ministère, le dit lui-même : l’habitude de lire passe par une expérience de lecture signifiante, valorisante et plaisante[3]. À cette fin, il est donc impératif d’avoir des bibliothèques scolaires de qualité. Des lieux stimulants, ludiques et amusants où les jeunes auront envie d’aller.

Pour les enfants défavorisés, la bibliothèque scolaire, c’est probablement l’ultime filet de sécurité qui reste pour leur inculquer ce goût de la lecture. Après, cela devient presque mission impossible. En attendant, la qualité de ce service vivote, à la merci du moindre obstacle.

Car aujourd’hui, ce n’est plus le manque de bénévoles qui serait la principale cause de leurs fermetures, mais le manque de locaux dans les écoles surpeuplées et délabrées. Un problème dont vous avez entendu parler, j’en suis certaine. Maintenant, je me permets de poser une question. Pourquoi un service essentiel qui peut inciter les jeunes à lire, puis à poursuivre leurs études et littéralement changer leur vie est-il si aisément coupé?

Et aujourd’hui, peut-être vous demandez-vous où en est la fameuse bibliothèque dont je me suis occupée? Eh bien, elle a été sacrifiée cette année. C’est que l’école, trop vétuste, sera démolie, puis reconstruite… dans deux ans.

En attendant, le pavillon où se trouvait la bibliothèque est fermé et sera détruit sous peu. Et malgré les vaillants efforts des professeurs pour compenser cette lacune, j’ai bien peur que nous ayons perdu notre filet. Mon seul souhait, maintenant, est que lorsque la nouvelle école sera prête, la bibliothèque y occupera enfin la place qu’elle mérite.

Et que toutes les bibliothèques scolaires obtiennent l’attention et les ressources dont elles ont besoin. Pour le bien des enfants.

 

Evelyne Gauthier
Autrice, éditrice, ancienne présidente de l’Association des Écrivains Québécois pour la Jeunesse (2017-2019) et ancienne bibliothécaire bénévole à la CSSMI

[1] https://fondationalphabetisation.org/wp-content/uploads/2022/09/FPAL31_AlphaReussite5_Fiche_20220907.pdf

[2] http://www.education.gouv.qc.ca/references/indicateurs-et-statistiques/indices-de-defavorisation/

[3] http://www.education.gouv.qc.ca/eleves/lecture-a-lecole/bibliotheques-scolaires/