Les auteurs doivent-ils craindre l'Intelligence Artificielle?

Les auteurs doivent-ils craindre l’Intelligence Artificielle?

Les auteurs doivent-ils craindre l’Intelligence Artificielle?

Bien malin celui ou celle qui arrivera à répondre à cette question! Je ne suis pas une spécialiste en matière d’intelligence artificielle. Seulement une auteure et une éditrice qui regarde tout cela et s’interroge, comme tout le monde du milieu. J’ai tout de même effectué quelques recherches sur le sujet pour essayer de m’y retrouver et de vous aider à y voir plus clair aussi.

Nous n’en sommes qu’aux balbutiements de cette machine et on ne peut prévoir son impact avec certitude.

ChatGPT, Fliki, DALL-E, Midjourney et plusieurs autres… ces plateformes se multiplient à grande vitesse. Et elles sont souvent disponibles gratuitement. Certaines ont aussi des options payantes offrant davantage de fonctionnalités.

C’est quoi, au juste?

D’abord, c’est quoi, exactement? Il s’agirait d’un «agent conversationnel à intelligence artificielle ou « chatbot », autrement dit un assistant virtuel qui utilise les nouvelles technologies pour dialoguer avec ses utilisateurs». Il faut savoir aussi que cette intelligence est dotée d’une certaine capacité d’apprentissage et d’adaptation. Plus on s’en sert, plus elle reçoit et emmagasine d’information et donc, plus elle apprend, se perfectionne et… devient intelligente.

Elle devient alors plus efficace à répondre adéquatement aux demandes des utilisateurs. Ses capacités d’apprentissage et d’adaptation sont sans doute les aspects les plus effrayants. Jusqu’à présent, l’Intelligence Artificielle avait toujours eu certaines limites. Mais cette fois, en ayant accès à un bassin quasi illimité de contenus et d’utilisateurs qui apportent de nouvelles données, cela l’aide à s’améliorer encore plus vite.

Il est loin le temps où l’ordinateur intelligent Deep Blue était limité à faire des parties d’échecs. D’ailleurs, ce dernier n’avait pas la capacité d’apprendre pendant qu’il jouait des parties. Il pouvait le faire uniquement avant. Pendant les compétitions, il pigeait simplement des stratégies dans sa banque de données.

Les humains encore essentiels

Aussi intelligente soit-elle, l’IA a encore besoin d’humains. On dénombre encore beaucoup d’erreurs, de biais cognitifs, d’inexactitudes, voire carrément de bêtises dans ses réponses. On reproche à l’IA, entre autres, d’avoir des connaissances limitées en ce qui concerne les cultures autres qu’anglo-saxonnes. Voici l’exemple d’un test que je me suis amusée à faire avec ChatGPT sur… moi-même.

Voici la première réponse que j’ai obtenue lorsque je lui ai demandé des renseignements à mon sujet. (Ne vous inquiétez pas, je n’ai pas été surprise, je sais que je ne suis pas une grande vedette.)

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Voici la réponse que j’ai obtenue après avoir apporté une précision supplémentaire.

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Hum… les informations correctes sont: je suis auteure et scénariste, je suis née à Montréal. Pour le reste, il n’y a malheureusement rien de vrai. Et considérant que les renseignements sur les œuvres citées sont faciles à trouver, on peut se demander comment ChatGPT a pu se tromper à ce point. Bref… ce n’est pas demain la veille que ChatGPT atteindra la perfection.

En gros, la machine n’en sait pas plus que ce qu’on lui donne et ne peut faire le tri de l’information pertinente ou exacte entièrement par elle-même. L’humain est donc encore nécessaire pour assurer la justesse des données et éviter, entre autres, que la machine ne développe des préjugés.

La qualité du contenu qu’elle produit dépend aussi des questions que les utilisateurs lui posent. Une question trop vague a plus de chances d’engendrer des mauvaises réponses.

Et l’écriture?

Là-dessus, l’IA ne crée rien de nouveau, n’imagine rien de nouveau. Elle ne fait que digérer et recracher des informations qu’on lui a données. Peut-on s’en servir comme outil pour écrire, chercher des idées ou créer des plans? La réponse est oui.

Si on lui demande de produire un plan de scénario d’horreur impliquant une séance de Ouija et suivant la structure en 15 temps de la technique Save the cat, elle y parvient. Est-ce original? Non. La machine s’est seulement inspirée de scénarios déjà existants, en a tiré les éléments que l’on retrouve le plus souvent dans les films du genre et les a mis ensemble. Cela donne donc un résultat assez convenu.

Il est aussi possible de lui demander d’écrire un texte de fiction sur un sujet ou un thème précis. Cependant, encore une fois, la machine n’invente rien. Elle ne fait que fouiller dans sa banque de données et repiquer, avec ses algorithmes, les éléments du schéma narratif et du schéma actanciel pour produire un texte.

Quant au style littéraire, il est tout simplement absent. Il n’y a pas de plume à proprement parler. Ni de sous-texte ou de deuxième degré. Cela donne un texte drabe, plate, sans couleurs, sans saveurs, sans complexité.

Des mesures à prendre

En attendant, plusieurs voix s’élèvent pour demander une meilleure protection du droit d’auteur. Des produits de l’IA commenceraient à être bannis un peu partout. Ou du moins, étiquetés comme tel, pour les différencier de ceux produits par des humains.

Certains demandent une adaptation rapide de la loi, d’autres suggèrent un débat et d’autres, plus alarmistes, exigent carrément qu’on débranche tout. De plus, certaines entreprises ont déjà pris les devants, comme Clarkesworld, cette revue littéraire américaine inondée de textes écrits par l’IA, qui a décidé de ne plus accepter aucun nouveau texte et a banni les auteurs ayant eu recours à l’IA.

Le phénomène a sans doute été amplifié par nombres «d’influenceurs» du web qui vantent leur méthode (payante, bien entendu) pour écrire un livre sans effort et le vendre en autoédition sur Amazon, qui est submergée de ce genre de textes depuis.

Cependant, publier un livre sur ce genre de site ne garantit pas de bonnes ventes et surtout pas si l’offre devient démesurée. Car les lecteurs ne seront pas plus nombreux et les revenus seront simplement divisés davantage, puisqu’il y aura plus d’auteurs. Les possibilités de faire fortune sont en réalité très minces et l’engouement pourrait s’essouffler devant des ventes peu satisfaisantes ou des refus répétés de publication de la part des éditeurs.

Parce que croyez-moi, les éditeurs ont vu neiger. Un texte produit par une IA se démarque rarement et les éditeurs les repèrent assez vite. Le public, lui, n’y verrait-il que du feu? Difficile à dire.

Et les autres domaines culturels, eux?

C’est dans le domaine de l’audio, de l’audiovisuel et des arts visuels que les progrès de l’IA semblent les plus spectaculaires. Dans le cas de l’audio, les IA proposent plusieurs voix et arrivent à faire la lecture de certains textes avec une qualité qui va de moyenne à étonnante.

Sans compter que certaines plateformes permettent de cloner des voix réelles à partir de fichiers audios et de faire dire presque tout et n’importe quoi à la personne dont la voix a été clonée. Y compris les pires horreurs. À mon avis, c’est le scénario le plus angoissant de tous. Ou inventer une chanson de toutes pièces et même la rendre virale. Un genre de deepfake, quoi.

Plusieurs voix artificielles sont un peu robotiques, mais la lecture de certains textes est presque convaincante. Surtout s’il s’agit de textes informatifs. En revanche, les outils gratuits ne permettent pas de lire un texte avec de l’émotion de manière satisfaisante. Les plateformes payantes, elles, offriraient plus d’options.

Vous voulez des exemples? Les premiers paragraphes de ce billet lu par «Gabrielle» et «Sylvie» de Fliki.

Voici Gabrielle:

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Voici maintenant Sylvie:

 

On sent bien qu’il y a quelque chose de pas très naturel, surtout pour la première. Mais pour un outil gratuit et facilement accessible, ça demeure impressionnant. On n’est pas bien loin de Star Trek, non?

La propriété intellectuelle

Les questions d’ordre éthique sur la propriété intellectuelle sont brûlantes d’actualité, en particulier avec les œuvres en art visuel, mais aussi de littérature. Ce qui est en jeu, entre autres, c’est que les algorithmes de l’IA, pour créer de nouvelles œuvres, s’inspirent de milliards de textes et d’images.

Des juges auraient autorisé l’emploi d’œuvres à titre de «recherche», lorsque l’IA est en phase d’apprentissage, si ces œuvres sont disponibles publiquement. De plus, beaucoup d’œuvres produites par l’IA proviennent de demandes telles que: «dessine un chat dans le style de Picasso», par exemple. Or, les idées, les styles et les genres ne sont pas protégés par le droit d’auteur. Ce qui rend la question légale sur ce genre de création d’autant plus complexe.

L’autre question épineuse est celle de la propriété intellectuelle des œuvres produites par l’IA. En février, l’Office du Copyright aux États-Unis, un organisme gouvernemental qui tient les registres d’enregistrement des droits d’auteur, a décrété, notamment, que des images de bande dessinée créées par l’IA Midjourney ne pouvaient pas être protégées par le droit d’auteur. En fait, c’est l’utilisateur qui serait responsable des images qu’il aurait créées avec l’aide de l’IA. Théoriquement, il pourrait même les commercialiser.

Bref… tout cela pour dire que la situation évolue à très (trop?) grande vitesse et que la question est loin d’être réglée. Les questions et les injonctions ne cessent de surgir. Difficile, donc, de tirer une conclusion à l’heure actuelle, puisque nous sommes toujours devant un grand vide.

Des tribunaux ont déjà pris des décisions afin de restreindre, dans une certaine mesure, l’impact des créations de l’IA. Mais tout reste à faire et d’importantes réflexions sont à venir, tant sur les plans éthiques, juridiques qu’artistiques. Il faudra sans doute prendre des mesures pour protéger le droit d’auteur, mais aussi les artistes eux-mêmes.

Alors… les auteurs doivent-ils craindre l’Intelligence Artificielle?

Trop tôt pour l’affirmer avec certitude. En attendant, puisque l’IA est encore bien loin de la perfection et qu’elle a encore besoin d’humains pour fonctionner… les auteurs peuvent respirer un peu… pour le moment…

 

MAJ: Ce billet de l’UNEQ offre une belle synthèse de la situation.

 

Photo: Rawpixel, Freepik.